Le blog d' Inkan

 Il y a des dates, des événements, des choses qui se passent qui marquent un tournant dans votre vie, c'est fortuit ou provoqué, vous êtes seul ou accompagné et parfois, étrangement, les deux...

Après mon coup de télèphone à Ether, j'étais dans un état que j'ai encore du mal à définir aujourd'hui. C'était comme si j'étais dans les prémices d'une cassure ou plutôt comme si j'arrivais à un carrefour mais cette fois-ci à une telle vitesse que je devais prendre un chemin sans vraiment réfléchir, au risque de quitter la route.

L'expérience d'Ether m'avait donné une lueur d'espoir, la motivation de dépasser ma peur, l'envie d'avancer? De ne pas rester en berne au bord du chemin? Je n'arriverais pas aujourd'hui à faire le tri dans ce que je pouvais ressentir, c'était une ébullition là où d'habitude je maintiens un encéphalogramme plat.
Seul chez moi, je n'avais aucun moyen de faire diversion même si j'ai essayé, en me servant un grand verre d'alcool alors que ce n'est pas dans mon habitude de boire.
 Après avoir ouvert un frigo vide (je n'ai toujours pas fait les courses), je cherchais ce qui pourrait calmer cette faim de ...? Faim de se faire plaisir, faim d'être? Besoin d'être rempli de quelque chose. J'ai bien pensé en regardant le paquet de cigarettes vide qui trainait encore sur la table (une semaine que je n'ai plus fumé) a aller en racheter mais c'était tard...et en fait pas envie de ça.
J'ai tenté de joindre mon chéri mais aucune réponse à mon texto.

 Je me suis donc retrouvé face à "rien" et de la même manière qu'Ether, j'ai pris mon télèphone et composé le numéro de mes parents. Le coeur battant à tout rompre, j'espérais secrétement que vu l'heure personne n'allait répondre, j'ai même failli raccrocher à la deuxième sonnerie (fausse excuse, y a personne...) mais bientôt comme si je devais être mis au pied du mur, j'ai entendu la voix de mon père.
Muet, j'ai attendu une éternité avant de pouvoir émettre un son, pétrifié par la peur de ce que j'allais faire. Ma voix semblait s'être échappée.
J'ai fini par réussir à articuler, mal assuré: Ca va?
Et il y avait derrière ces deux mots tellement de choses à entendre: "je te prends par surprise, c'est un "ça va" d'introduction, je ne vais pas bien et je vais te parler sérieusement maintenant, je veux que tu m'écoutes, peu importe ce que tu en penses, je fais ça pour moi, j'en ai besoin"
Un silence, et j'ai eu un moment de doute avant de l'entendre répondre: ca va et toi? Et là , à ce ton qui était tellement pas le ton qu'on emploie pour repondre à cette question, j'ai entendu aussi ce qu'il fallait entendre: "je suis surpris que tu m'appelle, je vois qu'il y a quelque chose qui cloche, je n'ose plus rien dire, je sais pas quoi faire, je t'écoute".


 Je ne sais pas par où commencer alors je me lance sans préambule avec cette première perche.
"Ca te fait pas bizarre cette manière totalement fausse et neutre qu'on a de se parler? Comme si l'on s'adresse à un étranger alors que ce ne devrait pas être le cas...?"
Et là, de nouveau un silence durant laquelle j'essaie d'évaluer l'impact de cette premiere approche. Et au mot unique qui suivra, "si", je décide de continuer, brusque je m'en rends compte, mais on ne peut plus honnête, ça sort comme ça vient, me dis-je, sans gants mais ça fait des années que j'en prends:
"Papa, je crois que je ne t'aime pas, j'en éprouve une trés grande culpabilité parce que ça ne devrait pas être comme ça, mais pourtant ça l'est, je n'arrive pas à éprouver aujourd'hui autre chose que de la colère envers toi et ça me bouffe la vie. Ca me bouffe la vie aussi de faire semblant que tout va bien entre nous alors que l'on sait très bien que ça sonne faux à chaque mot prononcé. D'ailleurs j'en éprouve un tel malaise que j'évite qu'il y en ait beaucoup. On sauve les apparences, aussi bien toi que moi mais on ne leurre personne."
Je suis mortifié par ce que je viens de dire mais j'en éprouve en même temps un formidable soulagement, j'ai dit ce que je voulais dire, sans réfléchir aux conséquences que ça pourrait avoir sur l'autre, je l'ai dit pour moi et je découvre pour la première fois que je ne lui appartiens plus et que je suis libre de mes actes en face de lui.
Il ne répond rien et j'ai l'espace d'un instant envie de m'excuser, mais une force nouvelle m'habite et je ne le fais pas: je n'ai dit que la vérité.

Perdus chacun de notre côté dans nos pensées, j'en profitais pour noter que ça ne se passait pas comme je fantasmais cette conversation: là où je pensais que j'allais lui en mettre plein la gueule, finalement je n'en éprouvais pas le besoin. Je n'avais pas envie de me défouler, d'attaquer ou de me défendre, juste envie de dire ce que je ressentais, de la manière la plus objective possible, en faisant le tri des choses que j'avais envie de reprocher: celles qui n'avaient plus d'importance, celles qui étaient exagérées et celles que tout simplement je n'arrivais pas à comprendre et dont je voulais me débarrasser en ayant des réponses, si c'était possible...Je voulais: la vérité.
J'étais en train de préparer ma phrase suivante, en choisissant mieux les mots quand, à son tour, il me surprit en disant d'une voix ettoufée: "pardon"
Celà venait de me couper dans mon élan, je venais à peine de commencer ce que j'avais à dire. J'ai cru l'avoir imaginé et je suis resté muet, mais je l'ai entendu encore ce mot: "pardon" avec toute la force que lui donnait un sanglot et soudain, j'en fus bouleversé. Je n'avais pas imaginé qu'il pouvait avoir mal aussi et le fait de l'entendre me donnait enfin la possibilité d'envisager un pardon  puisqu'il regrettait et que comme moi il aurait voulu que ce ne soit pas.
 Il devenait inutile pour moi alors que les choses soient plus précisées. Après des années de faux-semblants, un seul mot disait tout ce qui devait l'être. Ce mot et toutes les phrases qu'il y avait derrière. Et ce faisant, je comprenais ce qu'il voulait me dire, comme il faisait de son côté...communication non verbale...
 Il continua pourtant en me disant qu'il avait été un mauvais père, qu'il n'avait pas connu le sien et qu'il s'était promis de faire mieux mais qu'il avait tout raté, qu'il avait tout abimé et qu'il ne pouvait que le regretter. Que c'était normal qu'on veuille le punir en ne lui accordant aucune légitimité d'être notre pêre. Qu'on le dépossédait de ce qu'il avait de plus précieux et que c'était mérité. Et il demanda encore pardon, en pleurant sur lui cette fois-ci, je crois...

Il voulait donc se pardonner aussi. Je compris mieux ce que me disait hier Ether, même si le concept de paternité m'est totalement étranger et que je n'arrive pas à imaginer ce que celà peut faire que la chair de sa chair nous repousse.
Peut-être qu'en effet c'est en soi une punition suffisante. Je suis moi-même assez conscient de la douleur que l'on ressent en voyant fuir ceux que l'on aime et de ce que la culpabilité peut avoir d'insidueuse.
Je n'ai pas voulu donner l'absolution tout de suite, celà aurait été encore mentir. Alors en ayant l'impression d'être pour la première fois le moteur de cette "relation" entre nous, je lui ai répondu:
Il me faut du temps, encore, et je sais pas si ça suffira. Il est possible que je puisse ne plus te détester, même peut-être pardonner, mais ça me demande de faire un cheminement, d'être sûr que j'ai envie de trouver un père que j'aime quand même, malgré moi et malgré lui. Il est peut être inutile pour moi de trouver une raison à tout ça, il me suffisait de comprendre que c'est toi qui a un grave problème qui a eu des répercussions sur moi. Pour que celà n'en ait plus, il me semble normal que tu t'emplois à le régler et de mon côté, je dois faire la même chose pour effacer les conséquences.
J'étais subitement très fatigué et je lui dis à nouveaux que l'on devait laisser le temps passer, que j'aurais peut-être pas envie de rappeler de suite et qu'il devait me laisser libre de choisir.
Après un silence durant lequel aucun "je t'aime" ne sortit des deux côtés par pudeur, habitude ou honte, je ne sais pas, je raccrochais le premier.

J'ai ensuite éclaté en sanglots, pour relacher une tension accumulée. J'ai pleuré longtemps jusqu'au moment où je me suis rendu compte que je pleurais sans avoir plus rien à évacuer, que c'était juste physiologique. Et je me suis endormi sans ne plus penser à rien.
Ce matin je me suis réveillé avec une sensation de nouveauté. J'avais envie de partager celà avec quelqu'un, réfléchir à tout ce qui c'était dit, en analyser les moindres recoins.
Alors j'ai ouvert mon blog et j'ai décidé d'effacer quelques articles que je trainais comme des boulets, j'en ai publié un vieux qui était au point de départ de cette dépression qui s'est étiré sur 9 mois.
En le lisant je fus saisis d'un élan spirituel: il y a des signes, partout, on ne les voit pas toujours du premier coup.
Le 28 mai dernier, je sortais de l'hopital et exactement 9 mois plus tard je décollais pour un autre pays près à m'ouvrir à la vie. Comme lors d'un accouchement j'ai eu des "contractions" de mieux être sans que le noeud du problème ne sorte. Il aura fallu l'exemple ou le soutien de proches, une certaine léthargie et du temps aussi pour que je décide de quitter "le ventre de mon père".
Ainsi , moi Inkan, je suis né deux fois...

Sam 7 mar 2009 4 commentaires
Je suis fier de toi .
Enzio - le 07/03/2009 à 18h20
Tu m'étonneras toujours par ton courage ...
Lex - le 07/03/2009 à 21h19
Merci tout simplement pour vos com. Ce post est à mettre en parallèle avec "mes nuits blanches sont souvent noires" que j'avais gardé dans mes brouillons et que j'ai finalement publié.
Bizzz
Inkan - le 07/03/2009 à 22h57
Une pensée pour toi, j'espère que tu vas être soutenu les jours qui viennent, ça doit pas être évident et ça doit être très déstabilisant. Tu n'es pas tout seul au moins? Je pense que tu dois garder des reperes.
Un énorme bisou.
crevette - le 11/03/2009 à 14h49